Le Centre de Droit et d’Économie du Sport (CDES) a élaboré une cartographie des emplois directement liés à l’organisation des jeux olympiques Paris 2024. Cette étude, initialement publiée en 2019 et actualisée en 2021, explore les efforts déployés pour anticiper les besoins en emploi tout en ayant l’ambition de structurer une filière pérenne pour les grands événements sportifs et culturels. Christophe Lepetit, Responsable des études économiques du CDES, a accepté de répondre à nos questions.
Pouvez-vous d’abord présenter le CDES, qui est à l’origine de cette cartographie, et ses activités ?
Le CDES, le Centre de Droit et d’Économie du Sport, est basé à Limoges. Nous opérons dans trois domaines principaux : la formation, les études et le conseil, ainsi que la recherche.
En formation, nous proposons cinq programmes diplômants exclusivement dédiés au sport, destinés à divers publics tels que des professionnels en poste, d’anciens sportifs, et des étudiants cherchant une spécialisation dans le domaine sportif.
Nos activités d’études et de conseil incluent des études socio-économiques et du conseil juridique (assuré par notre cabinet d’avocats spécialisés, CDES Conseil) spécifiques au sport.

Christophe Lepetit, Responsable des études économiques du CDES
Concernant la recherche, nous avons un laboratoire universitaire rattaché à l’université de Limoges, composé de chercheurs (Professeurs, Maîtres de Conférences) qui étudient les questions sur le droit et l’économie du sport, publient régulièrement des ouvrage et articles et participent ou organisent des conférences et colloques (dont le prochain aura lieu en mars 2024 à la Cour de Cassation le 08 mars 2024 consacré aux « propriétés olympiques »).
Comment avez-vous entamé cette cartographie des emplois liés aux Jeux de Paris ?
La cartographie initiale a été publiée en 2019, à la demande du Comité d’organisation des Jeux olympiques et paralympiques de Paris 2024, avec la participation du ministère du Travail, du MEDEF, et du mouvement sportif. L’objectif initial était de quantifier les besoins en emplois nécessaires à l’organisation des Jeux pour construire et/ou rénover les infrastructures sportives et non sportives, livrer les Jeux conformément au cahier des charges du Comité International Olympique et au contrat de ville-hôte, et accueillir les visiteurs (touristes, délégations, famille olympique, médias). Cette première étude visait à identifier les métiers essentiels et à sensibiliser les acteurs de l’emploi sur les besoins à pourvoir compte tenu de la contrainte temporelle des Jeux et du fait que beaucoup de métiers impliqués l’étaient déjà dans des secteurs en tension. La cartographie avait vocation à aider à planifier les jeux et à permettre aux parties prenantes d’anticiper les besoins et de coordonner leur action pour y faire face.
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Depuis, la cartographie a été actualisée en 2021. Cette actualisation a été réalisée dans le cadre d’un EDEC (Engagement pour le Développement de l’Emploi et des Compétences) spécialement créé autour des grands événements sportifs et culturels, signés par plus de 20 branches professionnelles. Les objectifs de ce second travail étaient donc légèrement différents.
Tout d’abord, il s’agissait d’actualiser les chiffres en tenant compte des évolutions survenues entre 2019 et 2021, notamment les impacts de la pandémie et les ajustements dans le projet des Jeux. Ensuite, l’accent a été mis sur une exploration approfondie des métiers impliqués et de leurs enjeux, avec l’élaboration de fiches métier plus détaillées. Nous avons notamment ajouté des métiers (20 fiches en 2019 vs. 25 fiches en 2021) et intégré des fiches sur les métiers d’encadrement.
Enfin, une perspective plus large a été adoptée en cherchant à identifier comment ces travaux et les Jeux pouvaient contribuer à créer une filière des grands événements sportifs et culturels qui unit les différentes branches professionnelles impliquées dans ces événements. Il était important de créer une dynamique pour faciliter la collaboration, le passage d’informations et les transitions professionnelles entre les métiers nécessaires à la tenue de ces grands événements sportifs et culturels.

Comment cette actualisation vise-t-elle à structurer cette nouvelle filière pour les grands événements sportifs et culturels ?
L’actualisation avait pour ambition de poser les bases d’une véritable filière pour les grands événements sportifs et culturels. En mettant l’accent sur la transversalité, l’idée était de dépasser la focalisation exclusive sur les Jeux de Paris 2024. Cette perspective élargie a conduit à une collaboration avec différentes branches professionnelles, telles que la sécurité privée, la propreté, la communication, la restauration rapide, toutes mobilisées lors de ces événements. L’objectif final était de créer une structure plus cohérente pour permettre aux acteurs du service public de l’emploi de travailler sur la notion de parcours professionnels afin de réduire la précarité et d’offrir une vision d’ensemble des opportunités dans ce domaine.
Enfin, l’objectif était d’identifier la façon de pouvoir créer plus de transversalité et de coopération entre organisateurs de grands évènements, qu’ils soient sportifs ou culturels, dans la mesure où ils mobilisent les mêmes familles de métier. Il semblait ainsi intéressant de réfléchir aux leviers permettant éventuellement de créer des passerelles entre les différents évènements.
En résumé, cette cartographie des emplois liés aux grands événements sportifs se positionne comme un outil crucial pour anticiper, préparer et structurer les ressources humaines nécessaires à la réussite de ces événements d’envergure.
Quels sont les outils utilisés pour quantifier les besoins en emploi liés aux grands événements sportifs et culturels ?
Dans notre approche, nous avons utilisé deux méthodes distinctes.
Initialement, l’idée était de recourir à un modèle économétrique pour convertir les euros (dépenses d’organisation, dépenses d’investissement, dépenses de consommation des visiteurs) en emplois, une approche courante dans les modélisations statistiques. Cependant, cette méthode s’est avérée applicable uniquement aux aspects liés à la construction et à l’accueil touristique.
Pour la gestion des besoins organisationnels, nous avons dû ajuster notre approche. Faute d’accès aux données financières spécifiques, nous avons utilisé des outils de planification des ressources humaines développés par le comité d’organisation de Paris 2024. Ces outils nous ont permis de travailler site par site, en se basant sur les besoins précis pour opérer chacun d’eux et d’organiser les épreuves. Ainsi, nous avons pu quantifier les besoins en nous appuyant sur les informations opérationnelles détaillées disponibles.
L’objectif de l’actualisation était de favoriser la coordination entre les acteurs. Comment aborder cette problématique de coordination entre les secteurs impliqués ?
La coordination entre les secteurs impliqués dans les grands événements sportifs et culturels demeure un défi majeur. Un obstacle identifié est la tendance à fonctionner en silo, notamment en France, un pays particulièrement centralisé : chaque organisateur, chaque branche a tendance à s’occuper de ses problématiques. Il y a ainsi peu de passerelles et de discussions entre les différents acteurs et secteurs d’activités, ce qui implique, au niveau des demandeurs d’emploi et des parcours professionnels, peu de continuités entre les différents métiers impliqués ensemble dans les grands événements culturels et sportifs.
Pour encourager cette transversalité, nous disposons d’un cadre institutionnel, tel que la délégation interministérielle aux Jeux Olympiques (DIJOP) qui devrait redevenir une DIGES (Délégation interministérielle aux grands évènements sportifs) après les Jeux et les branches professionnelles, qui permettent des discussions collectives entre employeurs et salariés. De même les acteurs du service public de l’emploi ont cette habitude de travail partenarial. Cependant, il reste du travail pour instaurer une culture globale de collaboration.
La cartographie a révélé la nécessité de solutions visant à promouvoir une collaboration plus étroite entre les secteurs. Outre les instances nationales, il est crucial de favoriser l’interaction au niveau local.
Des organisations territoriales, comme la Maison de l’emploi à Marseille, ont montré la voie en rassemblant les parties prenantes locales. Cette approche souple permet une meilleure adaptation aux spécificités locales et encourage l’innovation.
Pouvez-vous nous fournir des détails spécifiques sur les principaux types de métiers mobilisés et le nombre approximatif d’actifs impliqués dans la cartographie des besoins liés aux grands événements ?
Pour contextualiser, il est important de clarifier le concept d’emploi mobilisé. En deux mots, nous parlons d’un besoin en unités de travail pour organiser les Jeux, qui, à l’époque de la première cartographie en 2009, était estimé à 150 000 emplois. Actuellement, ce chiffre s’élève à environ 181 000 emplois, répartis principalement dans les secteurs de la construction, de l’organisation et du tourisme.
Environ 89 300 emplois sont concentrés dans le secteur de l’organisation, englobant des domaines variés tels que la restauration, la propreté, la sécurité privée, la logistique, le marketing, la communication, le transport de marchandises et de personnes ou encore le spectacle vivant. La filière touristique devrait mobiliser environ 61 800 emplois, couvrant des postes allant du service d’étage à la logistique, en passant par la restauration et la sécurité. Enfin, le secteur de la construction représente environ 30 000 emplois répartis dans différents corps de métiers.
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Comment avez-vous pris en compte la notion de sous-traitance dans cette cartographie des besoins en emploi ?
La prise en compte de la sous-traitance a été intégrée différemment selon les secteurs. Dans le tourisme et la construction, nous avons adopté une approche de conversion d’euros en emplois, tenant compte du montant total des dépenses, celui-ci comprenant donc en théorie la sous-traitance en cascade. Cependant, pour la partie organisation, c’est plus complexe. Nous avons collaboré étroitement avec le comité d’organisation, qui a évalué précisément le nombre de personnes nécessaires pour chaque événement sportif ou culturel. Bien que le nombre de prestataires soit défini, la répartition exacte entre prestataires et sous-traitants demeure une variable difficile à documenter à ce stade.
La collaboration étroite avec le comité d’organisation a été cruciale. Le comité, avec le soutien d’experts externes, a élaboré une planification détaillée des besoins en personnel pour chaque aspect des Jeux. Ainsi, nous connaissons le nombre total de personnes nécessaires, avec des besoins exprimés en termes de personnel requis à un endroit précis et à un moment donné, sans davantage de précisions sur la répartition entre prestataires de rang 1 et éventuels sous-traitants.
Pouvez-vous partager votre niveau de confiance quant aux projections effectuées , compte tenu des tensions existantes dans les secteurs d’activité mobilisés par l’événement ?
La confiance que l’on peut avoir est influencée par plusieurs facteurs. Les secteurs d’activité concernés, tels que la sécurité privée, la logistique, et le transport, sont déjà soumis à des tensions d’emploi. L’événement étant concentré dans des zones géographiques comme l’Île-de-France, déjà tendues, et sur une période relativement courte, le défi est réel.
Des travaux initiés dès 2019 ont mis en lumière la nécessité d’anticiper ces tensions en sourçant très tôt des candidats et en les orientant vers les formations adéquates afin de faire face aux besoins.
Bien que la pandémie ait ralenti certains processus, des collaborations agiles ont permis d’adapter des formations, par exemple dans le domaine de la sécurité privée, tout en maintenant la qualité requise.
Des initiatives locales, telles que la Maison de l’emploi de Marseille, ont également contribué à anticiper ces défis. Autre exemple : la Fédération Française d’Athlétisme et le Comité d’Organisation des Jeux Olympiques et Paralympiques de Paris 2024, ainsi que Pôle emploi ont organisé un job dating autour des valeurs du sport, “du stade vers l’emploi”, pour inciter des publics éloignés de l’emploi à s’intéresser à ces opportunités crées pour Paris 2024. Plus récemment, un grand forum de l’emploi en Seine-Saint-Denis, avec 16.000 opportunités, a eu lieu et a amené des dizaines de milliers de visiteurs.
Je suis convaincu que d’ici les JO, les dispositifs vont s’intensifier et monter en puissance. Cela couplé au fait que la coupe du monde de rugby, qui vient de finir, s’est bien passée, me donne confiance. Je pense que les parties prenantes vont réussir à bien anticiper et gérer les besoins des JO.
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Avez-vous remarqué des spécificités ou des enjeux différents selon les secteurs d’activité ou les types de métiers mobilisés pour l’événement ?
Oui, chaque secteur présente ses propres spécificités et défis. Par exemple, la sécurité privée doit relever le défi de la féminisation, en raison de la nécessité de palpations féminines.
De manière générale, dans de nombreux métiers, la maîtrise de l’anglais est cruciale, notamment pour accueillir un public international. On attend également des professionnels des soft skills particulières, comme la capacité à gérer des publics difficiles.
Les métiers de la logistique et du transport, quant à eux, doivent s’adapter à des environnements urbains complexes. La capacité à agir dans des délais contraints, souvent sous le stress, est importante. De plus, ces métiers impliquent souvent des conditions de travail difficiles qu’il faut pouvoir anticiper, comme le travail de nuit ou le travail en horaires décalées, la gestion de publics difficiles, les questions de mobilités et de transport dans une région où il est déjà difficile de circuler, etc.
Il existe de nombreux enjeux selon la branche et le métier impliqués. Ces éléments ont été longuement détaillés dans les fiches métiers de la cartographie
Quel est le point majeur à retenir de cette cartographie des besoins en emploi pour les grands événements comme Paris 2024 ?
Deux enseignements majeurs se dégagent de cette cartographie.
Tout d’abord (et je me répète un peu) : l’approche collective est indispensable. Paris 2024 ne peut pas être géré isolément par l’État, les branches professionnelles ou d’autres acteurs. Une collaboration étroite est nécessaire pour identifier et résoudre les défis.
Ensuite, au-delà des aspects quantitatifs, l’étude souligne la nécessité de créer des passerelles et une transversalité entre les événements sportifs, culturels et commerciaux. Cela pourrait permettre d’offrir des parcours professionnels plus stables et moins précaires, en exploitant la diversité des événements tout au long de l’année.
Pouvez-vous résumer les principaux défis actuels dans le secteur de l’événementiel ?
En effet, les défis majeurs dans le secteur de l’événementiel se concentrent sur le manque d’attractivité des métiers, notamment dans la sécurité, la logistique et le transport de marchandises.
Renforcer cette attractivité devient essentiel pour attirer des candidats compétents. Cela implique de réfléchir aux conditions de travail proposées et, peut-être, à la rémunération de ces métiers.
De plus, il existe un besoin crucial de créer des passerelles pour faciliter la mobilité professionnelle entre différents métiers de l’événementiel, offrant ainsi aux travailleurs une visibilité sur des opportunités tout au long de l’année.
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Pensez-vous que les dispositifs et les initiatives présentés dans le rapport pourraient inspirer des actions similaires lors de futurs événements ?
Les Jeux olympiques de Paris 2024 ont initié une dynamique collective sans précédent. Comparativement à d’autres événements sportifs, leur envergure a permis de déclencher une collaboration plus étroite entre les acteurs impliqués. Ce processus collectif peut servir d’exemple pour d’autres événements et constituer une base pour des initiatives innovantes. Il reste à voir comment cette dynamique pourra être pérennisée au-delà des Jeux.
Le rapport offre des enseignements concrets sur ce qui a bien fonctionné en amont des Jeux et propose des solutions pour surmonter les défis spécifiques du secteur. Ces dispositifs pourraient certainement inspirer des actions similaires lors de futurs événements, à condition que les leçons tirées soient capitalisées et partagées.
Une analyse approfondie post-événement permettrait de déterminer les meilleures pratiques et de les utiliser comme fondement pour des initiatives futures.