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L’intérim en Europe : panorama des divergences réglementaires

Sonia Valente, Rédactrice freelance - 16/05/25

(Mis à jour le 26/05/25)

Tour d’horizon juridique de l’intérim dans 4 pays : France, Allemagne, Pays-Bas et Espagne.

 2 %. C’est la part moyenne de l’intérim dans l’emploi total en Europe en 2023 selon le rapport 2025 du World Employment Confederation. Un chiffre en apparence modeste. Mais derrière ce pourcentage se cachent des millions de travailleurs intérimaires, indispensables au bon fonctionnement de nombreux secteurs. Des millions d’intérimaires, pourtant, qui ne bénéficient pas toujours des mêmes droits ni des mêmes protections en fonction du pays où ils exercent.

 

Dans cet article, nous proposons un tour d’horizon comparatif des modèles français, espagnol, allemand et néerlandais. Denis Pennel, expert du monde de l’intérim et observateur aguerri du marché du travail, nous éclaire également sur les forces et les limites de ces approches.

Nature de la relation d’emploi : quatre approches distinctes

Le modèle français : la mission temporaire encadrée

En France, le contrat de travail qui régit la collaboration entre l’agence d’emploi et l’intérimaire peut être à durée déterminée ou à durée indéterminée (CDII). Dans le premier cas, comme le CDD « classique », l’agence ne peut engager un intérimaire de manière temporaire que dans certains cas particuliers : remplacement, surcroît temporaire d’activité, etc. Dans le second cas, l’agence d’emploi est libre de recruter en CDII un salarié intérimaire dès le premier jour si ce dernier en manifeste l’envie.

 

À noter : le CDII reste minoritaire (53 815 en 2023 selon l’Observatoire de l’Intérim et du Recrutement). Le développer permettrait de fidéliser les talents, de renforcer leur sentiment de sécurité. D’ailleurs, selon le dernier baromètre de Coffreo, près d’un intérimaire sur deux aimerait qu’on lui propose un CDII.

 

Le modèle néerlandais : la progression vers la stabilité

Aux Pays-Bas, l’emploi intérimaire est réglementé par un système de phases où l’intérimaire gagne en protection et en sécurité au fil du temps :

 

  • Phase A : elle dure 18 mois au cours desquels il enchaîne des missions courtes sans garantie de rémunération entre les missions ;
  • Phase B : elle dure 2 ans. L’intérimaire peut conclure jusqu’à 8 CDD successifs de 3 mois avec l’agence d’emploi. Pendant ces CDD, il est assuré de percevoir un salaire minimum même s’il n’a pas de mission ;
  • Phase C : le CDI arrive au bout de 3 ans et demi. Il devient salarié permanent de l’agence tout en continuant à effectuer des missions chez différentes entreprises clientes. Entre 2 missions, la rémunération qui a été convenue dans le CDI avec l’agence est maintenue.

À noter : de même qu’en France avec le FASTT, plus l’intérimaire cumule d’ancienneté dans l’agence d’emploi, plus il bénéficie de droits (mutuelle, accès au logement, accès au crédit, mobilité, garde d’enfant…).

Le modèle allemand : l’employeur permanent 

En Allemagne, l’emploi intérimaire est similaire à l’emploi salarié classique. Le travailleur temporaire a un CDD ou un CDI avec son agence. Dans ce dernier cas, l’intérimaire est alors tenu de rester disponible auprès de l’agence d’emploi qui est obligée de le rémunérer entre les missions : c’est ce que l’on appelle une clause de disponibilité. Néanmoins, en pratique il existe des dérogations et des conventions collectives qui peuvent également limiter cette obligation, libérant ainsi l’agence de la rémunération inter-missions.

 

Exemple : l’obligation de disponibilité peut être suspendue pendant les congés ou en dehors des heures normales de travail, ou encore réduite à un certain nombre d’heures par semaine selon l’accord collectif applicable. 

Le modèle espagnol : l’assimilation temporaire

En Espagne, le recours à l’intérim est strictement aligné sur le régime du CDD classique. Depuis la réforme de 2021, seuls deux types de contrats temporaires subsistent :

 

  1. Les contrats dits « structurels » comme en France (accroissement temporaire d’activité et remplacement d’un salarié absent) ;
  2. Les contrats de formation (alternance, obtention d’une pratique professionnelle).

 

 

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L’égalité de traitement : des temporalités contrastées

Application dans le temps de la directive sur l’égalité de traitement

Le principe d’égalité de traitement établi par la directive européenne de 2008 impose aux agences d’emploi de traiter de façon identique tous les intérimaires placés dans une situation comparable aux salariés de l’UE, notamment en matière de rémunération, d’avantages, de conditions de travail ou d’accès à la formation.

 

Toutefois, une certaine marge de manœuvre est laissée aux États à travers la négociation entre partenaires sociaux. En France et en Espagne, l’égalité de traitement s’applique immédiatement, dès la première heure de mission. Dans le modèle néerlandais, l’application est progressive puisque l’égalité de traitement s’applique à partir de la phase B. En Allemagne, ce principe en matière de rémunération (Equal Pay) s’applique après 9 mois de mission continue. Ces divergences ont alors un impact financier pour les intérimaires. Imaginons que 2 intérimaires de l’UE occupent le même poste. Ils gagneraient  :

 

  • En France : 2500€ dès le 1er mois ;
  • En Allemagne : 1800€ pendant 9 mois, puis 2500€.

 

Il y a donc un écart potentiel de 6300€ sur 9 mois.

Exceptions négociées à la directive sur l’égalité de traitement

La directive européenne autorise aussi les pays à assouplir les règles du principe d’égalité de traitement. Dans l’hexagone, le Code du travail prévoit que les conventions collectives peuvent adapter certaines règles, mais les possibilités de dérogation sont strictement encadrées à la durée du contrat de mission, au nombre maximal de renouvellements, aux modalités de calcul du délai de carence entre 2 missions.

 

À l’inverse, les clauses d’ouverture allemandes résultant d’accords d’entreprise permettent de s’écarter plus largement des standards sectoriels en cas de difficultés économiques (baisse temporaire de salaire, durée du travail). En Espagne et aux Pays-Bas, le cadre légal de dérogation est également plus souple, en particulier aux Pays-Bas où la loi permet des dérogations sur la durée des CDD, les conditions de travail, la rémunération, le temps de travail et les avantages acquis.

 

Pour Denis Pennel, ces différences dans la mise en œuvre de la directive ont un double impact :

 

  1. Sur l’image du travail intérimaire. « On le constate notamment en Allemagne où les intérimaires sont moins bien payés qu’en France. L’intérim n’est alors pas bien vu par les travailleurs », précise notre expert ;
  2. Sur l’attractivité de l’intérim. « Plus la rémunération est élevée par rapport au salariat « classique », plus les candidats sont nombreux. Du côté des agences, le chiffre d’affaires des agences est aussi plus élevé », explique Denis Pennel.


Des impacts qui se retrouvent dans les chiffres. 

« Le taux de recours à l’intérim est plus élevé en France qu’en Allemagne. Mais pas plus qu’aux Pays-Bas, car l’emploi intérimaire et la flexibilité du travail sont acceptés depuis très longtemps »

Denis Pennel, Expert du monde de l’intérim et observateur aguerri du marché du travail.

La protection inter-missions : des philosophies opposées

L’approche française : l’indemnisation systématique

Denis Pennel considère que le modèle français apporte le statut le plus protecteur pour les travailleurs intérimaires. D’une part, il est possible de recourir au statut CDII : « dans ce contrat, l’intérimaire doit être rémunéré ou avoir droit à des formations rémunérées entre 2 missions », nous explique-t-il. D’autre part, à la fin de chaque mission, les intérimaires bénéficient d’une double garantie : IFM et ICCP (1) qui représentent cumulativement 21% du salaire brut. « C’est ce qui fait du modèle français le plus intéressant financièrement pour les travailleurs », analyse notre expert.

Les alternatives européennes

Dans le modèle néerlandais, il existe une indemnité de fin de contrat appelée « indemnité de transition », mais son fonctionnement diffère de l’indemnité de fin de mission française. Ainsi, l’intérimaire a droit à cette indemnité en cas de licenciement ou de non-renouvellement d’un CDD et ce, même pendant la période d’essai. L’indemnité est calculée au prorata de la durée effective du contrat et correspond à environ 8,33 % du salaire brut annuel. Elle est donc moins élevée que l’indemnité française qui est de 10 %.

 

En Allemagne, la réglementation prévoit différents cas de figure. Pour les intérimaires en CDD :

 

  • si le CDD est aligné sur la durée de la mission : il n’y pas de maintien de salaire et l’intérimaire n’a pas droit à une indemnité de fin de mission automatique, sauf exception contractuelle ou conventionnelle ;
  • si le CDD est plus long que la mission initiale : la rémunération est maintenue pendant l’inter-mission. 

 

Aussi, comme tout salarié, ils peuvent ouvrir des droits aux allocations chômage s’ils remplissent les conditions d’affiliation. Quant aux intérimaires en CDI, ils bénéficient d’un maintien de leur rémunération entre deux missions. 

 

Quant à l’Espagne, à la fin d’un contrat d’intérim, l’employé a droit à une indemnité de fin de contrat équivalente à 12 jours de salaire par année de service, soit environ 0.033 jour de salaire par jour calendaire du contrat. Contrairement à la France, il n’y a pas de double indemnité.  

 

Les obligations administratives : du contrôle à l’autorégulation

Des régulations publiques fortes

En France, avant de démarrer son activité, toute agence d’intérim doit effectuer une déclaration préfectorale d’activité et souscrire à une garantie financière correspondant au minimum à 8% du chiffre d’affaires hors taxes auprès d’un organisme habilité (banque, assurance, société de cautionnement). Elle est destinée à protéger les intérimaires contre le risque de non-paiement de leurs salaires.

 

Dans le système espagnol, l’ouverture d’une agence d’emploi nécessite une autorisation administrative délivrée par la Communauté autonome (région) où l’agence souhaite exercer. Contrairement à la réglementation française, cette autorisation n’est valable que sur le territoire de la région qui la délivre. L’agence doit également fournir une garantie financière dont le montant est modulable en fonction de la région et de la taille de l’agence.

 

Du côté de l’Allemagne, les agences d’emploi doivent obtenir une licence officielle délivrée par l’Office fédéral du travail. Après trois ans, si l’agence a respecté la réglementation, la licence peut devenir permanente.

 

Au cours de leur licence, les agences doivent fournir des rapports semestriels sur leurs activités (salariés, missions, entreprises clientes) et tenir des registres accessibles à l’administration. Un fonds de garantie existe aussi pour assurer le paiement des salaires en cas de faillite de l’agence.

Une régulation hybride dans le modèle néerlandais

Dans les Pays-Bas, toute agence d’intérim doit s’inscrire à la Chambre de commerce et disposer d’un compte bancaire spécifique pour la gestion des taxes et cotisations. Cependant, il n’existe pas de licence publique obligatoire, mais une certification volontaire SNA (label de qualité) s’est imposée comme standard du secteur.

 

93 % des agences néerlandaises sont certifiées SNA, ce qui garantit le respect des obligations fiscales, sociales et de conformité à la législation du travail. Comme en Allemagne, ces agences certifiées SNA sont régulièrement auditées (contrôle du paiement des salaires, des impôts, des cotisations, tenue des dossiers).  

Les limites opérationnelles : entre restrictions et libertés

Les durées maximales des missions

On note des disparités plus ou moins importantes entre les pays. Voici un tableau comparatif des réglementations sur la durée maximale des missions :

Exemple : une usine en Allemagne peut garder 50 intérimaires pendant 18 mois, puis les renouveler avec d’autres. En France, ce serait impossible sans changer de poste ni respecter le délai de carence.

Les restrictions sectorielles du travail temporaire

En France, il existe des quotas sectoriels stricts. Par exemple, dans le BTP l’intérim est autorisé, mais limité à 15 % maximum des effectifs dans l’entreprise. Un plafond qui vise à éviter que l’intérim ne se substitue à l’emploi permanent. Dans le secteur médical, l’emploi intérimaire est limité pour certaines professions (ex : sages-femmes, infirmiers, aides-soignants, éducateurs spécialisés) à une durée minimale d’exercice de 2 ans.

 

En Espagne, les quotas sectoriels sont négociés par convention collective en fonction des besoins et des spécificités de chaque secteur. Un exemple notable est celui de l’industrie automobile où la convention collective peut fixer un plafond à 20 % d’intérimaires dans l’effectif total du secteur ou de l’entreprise. La seule restriction publique où l’intérim est interdit concerne les postes dangereux et ceux de l’administration publique.

 

Du côté de l’Allemagne, il n’existe pas de quotas sectoriels fixes, mais le législateur peut interdire ou restreindre l’intérim dans certains secteurs ou pour certaines tâches pour des raisons de sécurité, de santé ou de politique de l’emploi. Les syndicats peuvent également être associés à cette décision.

 

Bonne pratique à adapter en France : s’inspirer du modèle allemand pour associer davantage les syndicats dans les décisions publiques.

 

Les Pays-Bas sont le pays européen le plus souple. Il n’existe pas de quotas ou de plafonds sectoriels sur le recours à l’intérim. L’utilisation du travail temporaire est largement ouverte, sous réserve du respect des règles générales sur les contrats et de la directive sur l’égalité de traitement.

 

Au regard de la reconnaissance croissante du rôle positif joué par le travail intérimaire, Denis Pennel s’attend à ce que dans les prochaines années les restrictions soient allégées dans les pays où la législation sur l’intérim est la plus stricte.

 

Voici un récapitulatif des différences réglementaires de l’intérim : 

En résumé, de la protection à la flexibilité, des garanties au pragmatisme, chaque pays esquisse sa propre vision du travail temporaire. Cependant, pour Denis Pennel, une chose est sûre : l’emploi intérimaire est la forme d’emploi flexible la plus réglementée en Europe !

 

(1) IFM, indemnité de fin de mission ; ICCP, indemnité compensatrice de congés payés