A l’occasion de la sortie du livre blanc “La gestion RH dans la secteur de la propreté” qui détaille les résultats d’une étude réalisée auprès de professionnels de ce secteur, nous avons eu le plaisir de nous entretenir avec Marc Guerrien, délégué général de la Fédération des Entreprises de Propreté d’Ile-de-France. Il nous a apporté son éclairage sur les résultats de l’étude et sur la digitalisation du secteur de la propreté de manière plus large.
Quel regard portez-vous sur la transition numérique du secteur de la propreté ?
La transition numérique est un enjeu essentiel pour nous.
Comme dans tout autre secteur, que ce soit pour le back office ou pour le front office, dans les processus internes comme dans la relation avec les clients, les entreprises de propreté peuvent bien sûr tirer énormément de bénéfices des outils numériques.
Ce qui est en plus spécifique à notre métier, c’est qu’il y a également un très gros enjeu autour du développement de l’internet des objets (les capteurs) et de la robotisation.
Sur le premier point, nos entreprises ont la particularité d’intervenir directement dans les locaux de leurs clients et ont ainsi une capacité à collecter une très grande quantité de données, par exemple sur les flux de passage dans les locaux et dans les salles de réunion, sur l’utilisation des consommables ou encore sur la satisfaction des utilisateurs des locaux. Elles peuvent donc se positionner en partenaire de confiance pour exploiter ces données, apporter de nouvelles idées et fournir de nouveaux services à leurs clients. Elles le font historiquement de manière empirique et isolée, mais le numérique permet de systématiser cette approche pour l’utiliser à plus grande échelle et la rendre encore plus pertinente pour les clients.
Sur la question des robots, on observe un développement très rapide des robots de nettoyage qui sont de plus en plus performants et de moins en moins coûteux. Aujourd’hui c’est encore marginal, on n’en est pas encore à un stade où ils remplacent massivement l’humain mais c’est quand même une tendance de fond et ils sont amenés à être de plus en plus utilisés. Ils le sont déjà par exemple sur les grandes plateformes telles que des entrepôts ou dans des endroits très sensibles où il est délicat de faire intervenir des êtres humains.
Au-delà des aspects technologiques, cela amène une réflexion sur le rôle et les compétences des agents d’entretien. Il va bien sûr falloir développer les compétences autour de l’utilisation de ces technologies et de ces machines. Le travail fastidieux et répétitif va pouvoir en partie être remplacé par des tâches à plus forte valeur ajoutée. Et il va falloir aussi développer encore plus les “soft skills” telles que le sens du service, les bons réflexes sociaux, la capacité à identifier les besoins du client, etc. qui vont devenir encore plus des facteurs de différenciation.
Il faut être très vigilant à ce que la transition numérique ne se fasse pas contre l’emploi, et il n’est pas question que les robots puissent remplacer les êtres humains dans nos métiers de service, mais dans l’ensemble on peut considérer que le développement des solutions digitales est une bonne chose car cela veut dire que l’on va aller vers des missions qui seront socialement plus gratifiantes. Et le fait donner une dimension à la fois plus technologique et servicielle aux missions des agents peut aussi aider les entreprises à recruter et fidéliser, deux thématiques qui ressortent comme leurs principales préoccupations dans l’enquête réalisée avec Coffreo sur la gestion RH.
Justement, d’un point de vue gestion des ressources humaines, où en est la profession ? Quels sont, selon vous, les principaux enseignements de l’étude ?
Cette étude vient confirmer nos intuitions et nos observations que l’on peut faire sur le terrain, à savoir que la propreté est un secteur qui n’a pas encore totalement fait sa transition numérique et qui pourrait tirer beaucoup plus parti de la digitalisation.
L’étude montre bien que les entreprises qui ont fait le choix de mettre en place des solutions numériques sont globalement plus satisfaites de leur gestion RH que celles qui utilisent encore des moyens plus traditionnels.
Elle montre aussi qu’il y a des niveaux de maturité sur ces sujets qui sont très variables. Il y a encore de nombreuses entreprises qui ne se sont pas pleinement engagées dans cette transition numérique. On peut considérer qu’avoir seulement 65 % des répondants qui déclarent un intérêt pour une solution complète de digitalisation des processus RH est insuffisant : plus d’un tiers continuent de se dire neutres ou pas intéressés, alors que les gains d’efficacité semblent quasi unanimement admis. Il y a donc vraisemblablement encore des freins. Ceci d’autant plus qu’il y a une légère surreprésentation des grandes entreprises dans les répondants à l’enquête. Mon sentiment est que ce phénomène est probablement encore plus marqué que ce qui ressort de l’étude, où les TPE sont sous-représentées. 93% des entreprises de notre secteur ont moins de 50 salariés et on constate généralement chez elles des niveaux de maturité plus faibles sur ces questions, même si certaines d’entre elles peuvent être particulièrement agiles et avant-gardistes en la matière.
Quelles en sont les raisons ? Quels sont les freins à la transition numérique ?
Il faut avoir en tête que, dans nos métiers, le travail manuel sur le terrain est le cœur de l’activité. La digitalisation n’est donc historiquement pas perçue comme ayant un impact direct très significatif sur ce qui fait l’essence même du métier. C’est bien sûr une vision que je ne partage pas complètement, comme je l’ai expliqué précédemment, mais c’est une réalité du terrain dont il faut avoir conscience.
Par ailleurs, même si on ne peut pas en faire totalement une généralité, beaucoup de nos dirigeants sont des entrepreneurs qui ont des entreprises familiales, ou qui ont gravi les échelons un à un et qui viennent d’un univers qui n’est pas celui du digital. Tout cela fait que l’on n’est pas naturellement dans un environnement de départ où la culture numérique est très forte.
Un autre aspect important, c’est que l’on est aussi un secteur à forte intensité de main-d’œuvre qui emploie énormément de salariés avec de faibles niveaux de qualification initiale, et certains sont éloignés du numérique. Ce n’est bien sûr pas du tout le cas au niveau des équipes dirigeantes et des cadres, mais ça peut être un frein à l’adoption de solution digitale à l’échelle de l’entreprise dans son ensemble. C’est d’ailleurs pour ça que la Branche met en place un programme pour lutter contre l’illectronisme.
En quoi consiste ce programme ?
Il s’agit de mettre à la disposition des entreprises des outils qu’elles peuvent ensuite proposer à leurs salariés. On aborde des sujets très simples sur quelques compétences clés : comment créer une adresse email, comment réaliser ses démarches administratives, etc. Cette démarche en est encore à ses débuts mais pour l’instant le retour des salariés est très positif. Cela les aide non seulement dans leur développement professionnel mais aussi dans leur développement personnel, pour leur vie de tous les jours.
Quels autres accompagnements au numérique la Fédération des Entreprises de Propreté propose-t-elle ?
Je m’exprime ici pour la FEP Ile-de-France mais il y a en fait six autres chambres régionales de même nature en métropole. Nous proposons de manière indépendante ou mutualisée toute une série de services, outils, dispositifs et programmes pour accompagner les entreprises du secteur, avec l’appui d’un organisme sectoriel original qui est la Fare Propreté.
On traite de nombreux sujets et il y a bien sûr un volet important sur la transition numérique. Il s’agit d’anticiper et de réfléchir à comment accompagner les entreprises dans des mutations qui sont pour certaines inéluctables. Un guide sur la gestion des données dans le cadre du RGPD a par exemple été produit, et on s’empare du sujet de la cybersécurité pour faire de la pédagogie sur les bonnes pratiques de vigilance. On travaille également sur la question de l’intelligence artificielle. C’est important pour nous dans ce cadre de travailler avec des partenaires comme Coffreo et les autres apporteurs de solutions digitales, pour profiter de leur expertise. Cela nous aide à faire de la pédagogie et à accompagner nos adhérents dans leurs réflexions pour avancer sur ce long chemin de la transition numérique.