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“Dans les agences d’intérim, près de 30 % des consultants quittent leur poste chaque année” – Entretien avec Emmanuel Cudry, fondateur de Coffreo 

Hélène Vally, Responsable contenus marketing - 17/03/25

(Mis à jour le 10/04/25)

Entretien avec Emmanuel Cudry, fondateur de Coffreo, sur le turnover alarmant des consultants.

Chaque année, dans les agences d’intérim, près de 30 % des consultants quittent leur poste (1), illustrant un turnover particulièrement élevé dans le secteur. Une tendance confirmée par les données de l’Observatoire de l’Intérim et du Recrutement : au 31 décembre 2022, 63,5 % des salariés permanents avaient moins de cinq d’ancienneté. 

 

Alors, quelles sont les causes de ce taux de rotation ? Quels impacts sur la gestion des intérimaires et la pérennité des agences ? Et surtout, quelles sont les actions qui peuvent être mises en place pour inverser la tendance ? 

 

Pour mieux comprendre ces enjeux et identifier des axes d’amélioration, nous avons échangé avec Emmanuel Cudry, fondateur de Coffreo et expert du secteur de l’intérim.

Emmanuel, selon l’INSEE, le taux de turnover moyen en France était de 15 % en 2021. En comparaison, le 30 % de turnover observé pour les consultants en agence est particulièrement élevé. Selon vous, quelles en sont les principales raisons ?

 

Emmanuel Cudry : La rémunération peut être un des facteurs car, soyons honnête, elle n’est pas des plus attractives. Ce n’est pas de la faute des agences : les marges sont faibles, un grand nombre de leurs clients tirent les prix vers le bas. Par conséquent, la marge de manœuvre pour valoriser financièrement leurs collaborateurs est assez faible.

 

Par ailleurs, ce métier est extrêmement polyvalent et il exige une grande capacité d’adaptation. Un consultant doit enchaîner des missions très différentes les unes des autres, tout au long de la journée : mener des entretiens, gérer ses commandes, s’occuper des bulletins de paie ou encore courir après un intérimaire qui ne s’est pas présenté chez un client. Cette diversité peut séduire certains, mais elle peut aussi peser sur la charge mentale et expliquer une partie du turnover.

Est-ce qu’il y a d’autres facteurs de stress ?

 

Emmanuel Cudry : Je pense que la pression venant des clients joue aussi un rôle. Certains considèrent que les consultants sont les « dernières roues du carrosse ». Ils sont souvent traités de façon assez désagréable, notamment lorsque les clients demandent des intérimaires à la dernière minute. Cette pression constante rend le quotidien particulièrement pénible et crée un environnement de travail difficile, où chaque journée est marquée par une course permanente contre la montre.

 

En plus de cette pression externe, il y a également une problématique liée à la relation avec les travailleurs temporaires. Les consultants sont, dans leur grande majorité, plutôt concentrés sur un recrutement continu que sur la fidélisation et le redéploiement des intérimaires. Ainsi, ils n’ont pas l’occasion de tisser des liens durables avec les travailleurs, car ils se retrouvent sans cesse à devoir repartir de zéro avec de nouveaux candidats. Cela génère un sentiment de répétition et de manque de continuité.

 

Cependant, je tiens à nuancer mes propos : il y a aussi des aspects positifs dans le métier. Les moments agréables existent, notamment lorsque les missions se déroulent sans accroc et que les consultants parviennent à trouver des solutions qui satisfont à la fois les clients et les intérimaires. Mais ces instants de satisfaction sont noyés dans la gestion des urgences, ce qui donne une impression globale de stress et de surcharge, contribuant selon moi à cette dynamique de turnover élevée.

On parle des consultants, mais qu’en est-il des responsables d’agence ?

 

Emmanuel Cudry : Le métier de responsable d’agence est souvent perçu comme la suite logique d’une évolution de carrière pour un consultant. Pourtant, cette progression s’accompagne de nombreuses responsabilités et de fortes contraintes. Un responsable gère un centre de profit de plusieurs millions d’euros, tout en portant une responsabilité légale et pénale conséquente. Et, malgré ces responsabilités, la rémunération n’est pas au rendez-vous pour les raisons déjà présentées plus haut. Alors, pour un jeune consultant, à quoi bon s’investir dans une voie qui semble peu attractive ? 

 

De plus, l’organisation en réseau des agences ne facilite pas toujours l’engagement à long terme. Chaque agence fonctionne de manière relativement autonome, avec des petits effectifs : deux à sept personnes. Cette configuration rend plus difficile la création d’un véritable sentiment d’appartenance et d’engagement collectif au sein d’un groupe.

Quels impacts ce turnover a-t-il sur la gestion des intérimaires et leur fidélisation ?

 

Emmanuel Cudry : Le turnover a un impact direct sur la relation avec les intérimaires. Les travailleurs temporaires attachent souvent plus de valeur à la relation personnelle avec le consultant qu’à l’agence elle-même ou à la marque. Lorsqu’un consultant les connaît, les accompagne et établit une relation de confiance, ils vont rester dans l’agence. Mais avec des changements d’interlocuteurs fréquents, cette relation est difficile à maintenir. Cela entraîne une perte d’engagement de la part des intérimaires, voire des départs.

Comment le turnover des consultants affecte-t-il les relations avec les entreprises utilisatrices ?

 

Emmanuel Cudry : Dans une agence, chaque changement de consultant implique une phase de formation et de montée en compétences, non seulement sur le métier en lui-même, mais aussi sur les outils et les spécificités des clients. Cela engendre souvent des erreurs, perçues négativement par les intérimaires et les entreprises utilisatrices.

 

Le client doit ré-expliquer ses habitudes, ses besoins et son mode de fonctionnement. Tout ce qui se faisait naturellement, souvent de manière implicite, devient plus laborieux. Cette perte de fluidité peut donner l’impression d’un service moins efficace et moins personnalisé, ce qui détériore la relation de confiance avec l’agence.

 

Enfin, un consultant inexpérimenté risque de mal préparer les intérimaires à leurs missions, ce qui peut créer des situations de déception des deux côtés : le travailleur découvre un poste qui ne correspond pas à ce qu’il imaginait, et l’entreprise se retrouve avec une personne qui ne reste que quelques jours, voire qui ne se présente pas du tout.

 

Les départs de consultants nuisent à l’engagement des intérimaires, à la satisfaction des clients et, in fine, à la marque employeur de l’agence. C’est vraiment un cercle vicieux !

Tous ces consultants qui quittent leur agence ne risquent-ils pas d’aller chez des concurrents ?

 

Emmanuel Cudry : Ce n’est pas aussi simple. Aujourd’hui, le turnover ne consiste plus seulement en un passage d’une enseigne à une autre : de nombreuses personnes quittent complètement le secteur. Or, ce turnover impacte fortement la croissance des agences. Comment voulez-vous développer une activité si vos salariés n’ont pas une connaissance fine de l’intérim et de ses spécificités, des clients de l’agence, du bassin d’emploi ou encore des intérimaires ?

 

 

Comment les réseaux d’agences peuvent-elles mieux accompagner leurs consultants pour les fidéliser et améliorer leurs conditions de travail ?

 

Emmanuel Cudry : Pour assurer une plus grande stabilité des équipes, l’intégration des nouveaux consultants, le maintien du lien dans des structures en réseau et l’investissement dans des outils adaptés peut permettre de créer un environnement de travail plus serein. Des solutions comme Coffreo, par exemple, allègent la charge administrative, limitent le stress et libèrent un temps précieux aux consultants pour qu’ils se concentrent sur l’accompagnement des intérimaires et la relation client. Passer d’une gestion en urgence à une approche plus anticipative est, d’après moi, aussi essentiel pour améliorer le quotidien des employés permanents.

 

Il est aussi important que les valeurs affichées par les entreprises de travail temporaire soient réellement vécues, aussi bien en interne qu’auprès des entreprises utilisatrices pour que les consultants puissent s’y retrouver et être fiers de leur travail. D’ailleurs, valoriser et reconnaître leur travail, notamment en diminuant les tâches inutiles, est peut-être l’une des clés pour renforcer leur engagement et leur bien-être.

Pour finir, on parle énormément d’Intelligence Artificielle. Selon vous, dans 10 ans, est-ce que le métier de consultant aura évolué grâce à l’IA ?

 

Emmanuel Cudry : L’Intelligence Artificielle va transformer en profondeur le quotidien des consultants. L’automatisation des tâches administratives et opérationnelles – comme le suivi des disponibilités, la gestion des commandes clients ou encore le tri des candidatures – va s’intensifier. Mais au-delà de ces aspects, l’IA va aussi impacter la manière dont les agences structurent et gèrent leur vivier de candidats et d’intérimaires.

 

Face à ces évolutions, le rôle du consultant va changer de plusieurs manières. D’une part, il devra définir les paramètres de l’IA en amont : quels critères sont les plus pertinents pour identifier les bons profils, comment paramétrer les recommandations, etc. D’autre part, il devra aussi assurer un travail de contrôle et d’ajustement en aval : vérifier la pertinence des propositions faites par l’IA, s’assurer que les attentes des intérimaires et des clients sont bien prises en compte, et rectifier si nécessaire.

 

Avec une IA qui prend en charge une partie de l’opérationnel, cela signifie aussi que le consultant pourra se recentrer sur ce qui fait la force d’une agence physique : l’humain. Entretenir une relation de confiance avec ses intérimaires, comprendre leurs attentes et les accompagner dans leur développement professionnel sur le long terme… autant d’aspects de plus en plus stratégiques face aux difficultés de recrutement. Par ailleurs, le consultant pourra aussi s’investir plus fortement dans le développement commercial en exploitant mieux les données et en anticipant les besoins de ses clients.

 

Avec l’arrivée de l’IA, son rôle ne sera plus d’exécuter et de subir la pression, mais d’animer un réseau ! Il deviendra un véritable animateur à même d’insuffler une dynamique de fidélisation auprès de ses intérimaires et clients. Une superbe opportunité de se différencier vis-à-vis de ses concurrents.

 


(1) Moyenne estimée d’après une série d’entretiens réalisée auprès d’un échantillon représentatif de clients Coffreo.


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