Aller au contenu
Secteur sécurité privée pour les JO Paris

“Sécurité des JO : le secteur pourrait encore évoluer pour répondre aux besoins de manière plus flexible” : Interview de Cédric Paulin, Secrétaire général du GES

Cédric Paulin, Secrétaire général du GES - 09/11/23

(Mis à jour le 21/11/23)

La sécurité est sans doute l’un des sujets les plus épineux des JO Paris 2024. Cédric Paulin, le Secrétaire général du Groupement des Entreprises de Sécurité (GES) a accepté de répondre à nos questions.

Quantification des besoins en main-d’œuvre, métiers de la sécurité les plus demandés, tensions de recrutement, dispositifs de formation et de reclassement, coordination entre les différents prestataires et les forces publiques : les JO amènent avec eux leurs lots de défis et d’opportunités pour les entreprises de la sécurité privée.

De combien de main-d’œuvre aurons-nous besoin pour assurer la sécurité des Jeux Olympiques et Paralympiques ?

Cédric Paulin, Secrétaire général du GES

La quantification des besoins en main-d’œuvre pour les Jeux Olympiques de Paris 2024 est une tâche complexe, car les chiffres ne peuvent provenir que de l’organisateur lui-même. Paris 2024 estime ainsi qu’il faudra environ 22 000 à 23 000 agents de sécurité pour l’événement. Ces chiffres sont basés sur les premières évaluations de Paris 2024 pour élaborer les premiers marchés et premiers lots.

Le Groupement des Entreprises de Sécurité (GES) n’a pas légitimité ni pouvoir pour fournir une estimation précise, car il n’est pas l’entité à l’origine de l’appel d’offres.

 

Cependant, il est essentiel de noter que les chiffres indiqués dans les appels d’offres ne sont pas nécessairement le chiffre final, car il y aura une adaptation à la réalité en fonction de ce qui est disponible.

 

Soit les organisateurs les feront tourner davantage, soit ils feront appel aux forces publiques, ce qui a déjà été envisagé.

 

Lire aussi : le GES par Cédric Paulin, interview

Savez-vous s’il y aura d’autres besoins liés à des événements à côté des JO ?

 

En effet, en marge des Jeux Olympiques et Paralympiques, de nombreuses entreprises organiseront sans doute des événements spéciaux, réunissant des partenaires, des clients, et connaîtront un pic d’activité liés à l’événement.

 

Certains commerces près des sites olympiques verront également leur clientèle augmenter. Les pharmacies, par exemple, envisagent une hausse de la fréquentation des officines.

 

Cependant, il est difficile de chiffrer ces besoins supplémentaires, car ces demandes de renfort ne sont pas encore formalisées : les prestataires indiquent simplement à leurs fournisseurs actuels qu’ils auront besoin d’agents supplémentaires à une date précise, sans donner de chiffres précis.

Y a-t-il des métiers spécifiques ou des compétences particulièrement recherchés pour les JOP en dehors des agents de sécurité ?

 

C’est vraiment sur la sécurisation des grandes masses que les besoins en sécurité se concentrent.

 

En plus des agents de sécurité, certains métiers connaîtront une forte demande. Par exemple, la mission de palpation nécessitera un nombre considérable d’agents, en particulier des femmes, car la palpation est une mission sexuée et le public des JOP est davantage mixte que d’autres événements sportifs.

 

D’autres métiers, comme les agents cynophiles de détection d’explosifs, présentent des défis, car le cadre réglementaire a été mis en place tardivement par l’État. Pour répondre à ces besoins, la branche Prévention-Sécurité a créé une formation et une certification spécifiques, enregistrées à France compétences.

D’ailleurs, comment gérez-vous la question de la féminisation dans les métiers de la sécurité pour les JOP ?

 

Le taux de féminisation est d’environ 16 % dans la sécurité privée en général. Pour les JOP, nous n’avons pas nécessairement besoin d’un équilibre parfait entre hommes et femmes, mais un taux de féminisation d’environ 30 % pour les prestations de palpation serait bien.

 

Pendant la coupe monde du rugby, les organisateurs se sont aidés de moyens technologiques, des magnétomètres ou de couloirs de détection. Finalement vous n’avez besoin de faire une palpation que si la machine sonne, pour faire une levée de doute, ce qui réduit les besoins d’agents féminins.

 

Dans d’autres missions, comme les rondes classiques ou la surveillance de nuit, il n’y a pas d’obligation réglementaire particulière en termes de féminisation. En fin de compte, l’objectif est d’assurer la sécurité de manière efficace tout en tenant compte de la féminisation.

Pensez-vous arriver à répondre à tous ces besoins et comment y parvenir ?

 

Les JOP représentent un sacré défi pour le secteur : le secteur se donne les moyens d’y répondre, dans la mesure de ses compétences.

 

Actuellement, 38 attributaires ont répondu au marché et sont en discussion avec Paris 2024 pour la planification opérationnelle des effectifs à fournir.

 

La tension sur la main-d’œuvre sera globale à cette période : répondre aux besoins des 22 000 à 23 000 agents de sécurité nécessaires pour les JOP est déjà un défi majeur ; si des demandes de dernière minute s’ajoutent, la situation risque de devenir encore plus compliquée.

 

Il faut également rappeler que la sécurité privée est un marché : les agents de sécurité privée présents sur le territoire répondent à un besoin. L’apparition sur le marché d’un nouveau donneur d’ordre, qui demande plusieurs milliers d’agents supplémentaires, entraîne une perturbation, ou du moins une difficulté pour les trouver à travers les entreprises avec lesquelles il contracte.

 

Le caractère exceptionnel et ponctuel de l’événement et des besoins peut freiner certaines entreprises si les conditions des marchés passés ou envisagés n’en tiennent pas compte.

 

Nous travaillons en étroite collaboration avec les acteurs publics tels que Pôle emploi, le CNAPS (Conseil National des Activités Privées de Sécurité), les missions locales et la région pour favoriser les inscriptions en formation. Actuellement, nous nous concentrons sur la phase de formation, car nous ne sommes pas encore dans la phase de recrutement.

 

Nous explorons les viviers de candidats qui ont été identifiés ces derniers mois. Par exemple, des étudiants ont été formés en sécurité privée depuis le début de l’été, et nous explorons également les possibilités avec les éducateurs sportifs en formation, ainsi que les élèves en bac professionnel spécialisé dans les métiers de la sécurité. Le ministère du Travail étudie également la possibilité de former des salariés du BTP.

 

Lire aussi : Comète et Coffreo, la digitalisation de bout en bout pour les sociétés de sécurité privée

Pourquoi cibler ces profils ?

 

Les étudiants et les éducateurs sportifs présentent un intérêt particulier, car ils ont des périodes de congés, ce qui leur permet de gagner une première expérience en sécurité privée ou d’ajouter une expérience supplémentaire. De plus, les scolaires en bac professionnel sont un vivier potentiel, et ils correspondent à un groupe de candidats disponibles pendant la période estivale.

 

Pour le BTP, une partie des chantiers sera interrompue pendant les JO, et ces travailleurs pourraient suivre une formation en sécurité privée. Cependant, il faudra trouver un moyen de financer leur formation, car les entreprises de BTP ne pourront pas assumer ces coûts.

Comment gérez-vous la formation des agents de sécurité pour les JOP ? Vous avez lancé une formation accélérée dédiée à l’événement ?

 

En réalité, il ne s’agit pas de formations accélérées, mais de formations adaptées.

 

Contrairement à la formation initiale classique de 175 heures, qui s’étale sur cinq semaines, une formation adaptée de trois semaines a été conçue pour les grands événements. Cette version plus courte, réduite de deux semaines, est adaptée aux missions spécifiques de ces agents. Les candidats reçoivent des formations sur des sujets tels que le terrorisme, le cadre juridique et la sécurité événementielle.

 

En revanche, certaines compétences comme la réalisation de rondes, la surveillance par vidéoprotection et la gestion des risques industriels ont été retirées de cette formation, car ces agents n’auront pas à en faire.

 

Cette adaptation de la formation a été rendue possible grâce à la collaboration entre les organisations patronales, les syndicats de salariés et le ministère de l’Intérieur, pour aboutir à la création, par la Commission paritaire nationale de l’emploi et de la formation professionnelle (CPNEFP) d’une certification appelée CQP (Certificat de Qualification Professionnelle) « Participer à la sécurité des grands événements » pour répondre à ces besoins spécifiques.

 

Une évolution récente consiste en la prise en charge de cette formation par Pôle emploi, avec une prime de la région accordée aux étudiants ou aux demandeurs d’emploi inscrits. Cette prime est versée en deux fois, à l’entrée et à la sortie de la formation. Cependant, une modification à venir conditionnera une partie de la prime à la signature d’un contrat avec une entreprise de sécurité privée.

 

Les agents possédant cette formation pourront ensuite continuer de travailler dans l’événementiel pendant une période d’un an, jusqu’en septembre 2025. Au-delà de cette date, ils ne pourront plus exercer, à moins qu’ils complètent leur formation.

Cette durée limitée pose-t-elle un problème d’attractivité pour cette activité de sécurité événementielle ?

 

Oui, en effet. Certains étudiants hésitent à s’engager dans cette voie, car ils ne veulent pas être limités à travailler dans l’événementiel uniquement jusqu’en septembre 2025. Toutefois, en leur expliquant qu’ils ont la possibilité de suivre un module complémentaire qui leur permettrait de continuer à travailler après les JOP, nous tentons de résoudre ce problème.

Parlons reclassement. Que deviendront les agents de sécurité après avoir travaillé pendant les quinze jours ou un mois prévus pour l’événement ?

 

Il y a une pénurie d’effectifs dans la sécurité avec un déficit d’environ vingt mille agents. Cette situation offre des opportunités pour les personnes qui travailleront pendant les JOP. En effet, ces agents n’auront aucun problème pour trouver un emploi dans le secteur de la sécurité après l’événement. Si ces personnes veulent continuer de travailler dans la sécurité privée, elles seront accueillies à bras ouverts.

Pensez-vous que les exigences en matière de sécurité pourraient se renforcer et augmenter les besoins initialement prévus dans les appels d’offres ?

 

C’est une question légitime au vu du contexte actuel. Cela dit, il n’y a pas de preuve concrète suggérant que les organisateurs cherchent à renforcer les mesures de sécurité : compte tenu de l’ampleur de l’événement, les exigences en matière de sécurité sont déjà considérables, voire colossales.

 

Si les quotas d’agents ne sont pas atteints, je ne sais pas quels dispositifs sont prévus. Il n’y a pas encore de plan B annoncé ou connu, et l’idée de faire appel à d’autres acteurs n’est pas encore totalement indiquée.

 

Il est possible que des structures gouvernementales se préparent en coulisses, mais d’un point de vue politique, il n’y a pas encore eu de communication publique à ce sujet.

Comment envisagez-vous la coordination entre les forces de sécurité privée et les forces publiques pendant l’événement?

 

Le cadre juridique actuel détermine clairement les compétences respectives des différentes forces : les agents de sécurité privée ont des compétences limitées à la voie privée et ne disposent pas des mêmes prérogatives que les forces publiques. Il n’y a pas d’autorité de l’un sur l’autre, sauf en cas d’urgence absolue évidemment.

 

Cependant, il n’y a pas de réunion spécifique sur la coordination entre les acteurs de la sécurité privée et les forces publiques, incluant la sécurité privée, bien qu’un protocole entre le ministère de l’Intérieur et Paris 2024 existe. Pour l’instant, cette coordination opérationnelle n’est pas un enjeu prioritaire dans la préparation de l’événement, mais cela viendra.

 

Lire aussi : simplifiez la gestion administrative de votre personnel dans la sécurité

Avez-vous des exemples de bonnes pratiques à donner, tirées d’autres événements, par exemple la Coupe du Monde de rugby ou les Jeux Olympiques de Londres en 2012 ?

 

Il est difficile de comparer les JOP à d’autres événements : les Jeux Olympiques et Paralympiques de Londres 2012 se sont déroulés dans un autre contexte géopolitique et la Coupe du Monde de rugby est d’une ampleur différente. La Coupe du Monde de rugby a mobilisé 8.000 agents de sécurité. C’est trois fois moins que ce qui est prévu pour les JOP.

 

De même, l’expérience de Euro 2016 en France n’offre qu’une comparaison limitée : se déroulant sur un mois et sur toute la France, l’événement a pu montrer que des déplacements d’agents, entre villes, ont été nécessaires et organisés.

 

Souvent, on oublie que d’autres problèmes existent, comme l’orientation du public, la billetterie, l’accueil, les transports, et lorsque ces éléments ne fonctionnent pas ou mal, on a tendance à se tourner vers la sécurité privée qui peut servir de bouc-émissaire pour dire que les spectateurs n’ont pas pu rentrer à temps dans un stade. Alors que la sécurité privée n’y est pour rien…

Un dernier mot ?

 

Les JOP de Paris 2024 sont un événement unique et complexe, et il revient à l’organisateur de s’assurer de sa réussite – le CIO est même censé en avoir l’habitude et l’expérience, car c’est son cœur de métier ! En tant que prestataires, nous contribuons de notre mieux pour garantir la sécurité de cet événement, mais notre champ d’action est limité. Nous ne sommes pas les organisateurs et n’avons pas les informations nous permettant d’avoir une vue globale, notamment sur les effectifs nécessaires. Il est de leur responsabilité de bien quantifier leurs besoins et de faire leur possible pour nous permettre de mener à bien notre mission.