Patricia Boillaud, Conseillère emploi à la DIJOP (Délégation interministérielle aux jeux olympiques et paralympiques) est à l’œuvre au quotidien pour aider à les surmonter et a accepté de répondre à nos questions.
Lire aussi : quels métiers et besoins pour les JO Paris 2024 ?
Comment fonctionne la DIJOP ? Quel est son rôle ?
Pour la replacer dans son contexte, lorsque la décision d’attribuer les JO 2024 à Paris a été prise en 2017, trois institutions ont immédiatement été mises en place :
- La Société de livraison des ouvrages olympiques (Solideo) qui est chargée de la construction ou rénovation des ouvrages olympiques ;
- Le Comité d’organisation des Jeux Olympiques (COJO), avec le président Tony Estanguet à la manœuvre, qui en charge de l’organisation, de la planification, du financement et du déroulement des Jeux ;
- Une instance interministérielle, la DIJOP.
La DIJOP est un service du Premier Ministre, rattachée directement sous son autorité. La DIJOP a pour mission de faire l’interface entre les administrations, Solideo et le COJO sur tous les sujets essentiels pour faire en sorte que les jeux soient livrés dans de bonnes conditions.

Patricia Boillaud, Conseillère emploi de la DIJOP
La DIJOP est un service du Premier Ministre, rattachée directement sous son autorité. La DIJOP a pour mission de faire l’interface entre les administrations, Solideo et le COJO sur tous les sujets essentiels pour faire en sorte que les jeux soient livrés dans de bonnes conditions.
Nous étions au départ une équipe de 7-8 personnes qui a doublé depuis, car nos missions évoluent avec le temps. Il y a 5 ans, les Jeux étaient encore quelque chose d’assez lointain et on travaillait surtout de manière assez théorique à la définition des étapes et des actions qu’il faudrait mettre en place. Aujourd’hui, à l’approche de l’événement, nous sommes dans une démarche beaucoup plus pragmatique et opérationnelle de résolution de problèmes spécifiques et de mise en œuvre de dispositions structurantes.
De plus, au départ notre périmètre d’intervention se concentrait sur le budget, la sécurité, les transports, l’emploi et la formation, l’accessibilité, le sport, l’héritage. Nous avons depuis intégré d’autres thématiques telles que le logement, la billetterie populaire, dernièrement la communication de l’Etat qui doit s’amplifier en complément de celle du comité d’organisation.
D’ici quelques mois, nous aurons également pour rôle de travailler sur l’après-JO, la mesure de leur impact et l’évaluation des actions. 176 mesures ont été définies au départ par l’Etat et mises en œuvre. Il faudra d’une part évaluer ce qui aura été réalisé, d’autre part faire le bilan global des Jeux.

Qu’est ce que les Jeux ont de spécial, notamment en termes d’emploi ?
Tout d’abord, il s’agit d’un événement d’une ampleur exceptionnelle. Pour utiliser une image que l’on prend souvent, c’est comme organiser quarante championnats du monde en même temps. Là, on vient par exemple d’organiser la Coupe du monde de rugby, il faut s’imaginer que c’est quarante fois ça : 16 millions de visiteurs, 878 épreuves, 54 disciplines, 15 000 sportifs et 4 500 médailles à pourvoir !
Une autre spécificité, c’est que même s’il y a quelques épreuves à Lille, dans six stades de province pour les épreuves de football ou encore à Marseille, c’est quand même un événement essentiellement concentré sur l’Ile-de-France et c’est là que se situent les plus gros des besoins en matière de ressources humaines.
Enfin, c’est un événement qui a lieu sur une courte période. L’essentiel des besoins en main d’œuvre sera concentré sur la période des jeux olympiques (26 juillet au 11 août), et dans une moindre mesure celles des jeux paralympiques (28 août au 8 septembre), soit sur quelques semaines. Donc si on se met à la place des entreprises, ce n’est pas aujourd’hui même qu’elles ont véritablement besoin de recruter en masse, mais plutôt en 2024. Et pourtant c’est indispensable de s’y prendre à l’avance pour ne pas se retrouver en difficulté.
Lire aussi : comment gérer le marathon administratif des entreprises recrutant pour les JO ?
Qu’est ce qui est mis en place par les pouvoirs publics pour se préparer ?
L’une des premières choses a été de réaliser les études nécessaires pour connaître les besoins par secteur d’activité. Le ministère du travail a lancé ce qu’il appelle un EDEC, un engagement de développement de l’emploi et des compétences, avec une soixantaine de branches professionnelles, celles qui adhèrent à AKTO (27 branches professionnelles à forte concentration de main d’œuvre dont la sécurité privée, l’hôtellerie et les restaurations, la propreté, etc.) ou à l’Afdas, (31 branches des secteurs de la culture, médias, sport, tourisme, loisirs). Cette cartographie a permis de valider que l’on aurait des besoins très importants dans certains secteurs d’activité, de les quantifier et de mettre en place des actions de repérage des viviers, de formation et d’accompagnement des recrutements
On a d’abord beaucoup travaillé sur le secteur BTP pour que les chantiers des JOP supervisés par SOLIDEO puissent recruter les compétences nécessaires, en lien avec les collectivités locales. Et aujourd’hui, on travaille sur les autres métiers qui vont être très demandés par les Jeux, en particulier ceux pour lesquels il y a des tensions de recrutement et pour lesquels il n’est pas évident de trouver les ressources nécessaires. Ce sont principalement l’hôtellerie-restauration, le nettoyage, la logistique et la sécurité privée.
Ces enjeux de recrutement se font de plus en plus précis à mesure que l’on se rapproche. de l’événement. On est resté longtemps sur des grandes masses, mais dire que l’on a besoin de trente mille emplois dans la cuisine et la restauration, ça ne nous dit pas sur quelles zones géographiques, qui sont les recruteurs, etc. À présent, on commence à connaître une partie des entreprises qui sont attributaires des marchés des Jeux et on peut donc les accompagner sur mesure en fonction de leurs stratégies de recrutement.
Lire aussi : les bonnes pratiques du recrutement en urgence
Il y a aussi une distinction importante à faire entre les emplois nécessaires pour l’organisation des Jeux en tant que tels et les emplois liés au tourisme. Par exemple, il y a quelques entreprises qui sont retenues pour assurer la restauration sur les sites olympiques, mais les besoins en matière de restauration sont bien plus importants pour accueillir l’ensemble des visiteurs sur la période. Ce ne sont ni les mêmes entreprises, ni les mêmes logiques, ni potentiellement les mêmes secteurs géographiques.
L’État a donc commencé à préparer le terrain pour le recrutement en cherchant à identifier les viviers potentiels à activer, et notamment les demandeurs d’emploi et les étudiants, afin d’être en adéquation avec les besoins. Si je reprends l’exemple de la restauration, on travaille avec la branche pour voir comment les étudiants qui maîtrisent des langues étrangères pourraient être informés des opportunités d’emploi et recrutés par le secteur pour l’été 2024.
Et l’enjeu n’est bien sûr pas seulement d’identifier les viviers, mais également de mettre en place la formation pour avoir en 2024 un réservoir de main d’œuvre formée.
Pouvez-vous nous donner quelques exemples d’actions concrètes ?
Pôle Emploi a par exemple mis en place le site Emploi 2024 qui agrège toutes les offres d’emploi liées aux JO et les met en visibilité pour les candidats potentiels.
Le secteur de sécurité privée a anticipé en mettant en place un nouveau CQP (Certificat de qualification professionnelle) de cent six heures, donc plus court que le CQP traditionnel de cent soixante-quinze heures qui permet d’exercer les missions de surveillance dans le secteur de l’événementiel qui seront très demandées pour les JOP.
C’est aussi intéressant de regarder ce qui a été fait dans le BTP qui est le secteur où les besoins étaient les plus précoces. Même s’il reste encore à faire, une partie des chantiers est derrière nous et, globalement, on constate que ça s’est plutôt bien passé. Les entreprises ont trouvé la main d’œuvre qu’il leur fallait et sont parvenues à absorber la charge de travail. Il y a eu un travail important réalisé avec elles pour faire en sorte qu’elles anticipent leurs besoins et les transmettent au service public de l’emploi qui lui agissait en quelque sorte à la commande en mettant en place par exemple des formations financées par Pôle emploi, le conseil régional ou l’Opco du secteur. Il y a également eu un dispositif mis en place par Solideo qui rendait obligatoire d’intégrer des clauses d’insertion dans les marchés pour favoriser la mise à l’emploi de personnes très éloignées du marché du travail. Le dispositif était accompagné par des entreprises de travail temporaire d’insertion et a très bien fonctionné.
Et avez-vous une visibilité sur le devenir de ces populations ? Que deviennent-elles quand les missions liées aux JO se terminent ?
La pérennisation des emplois des personnes en insertion est bien sûr un axe d’action des acteurs de l’emploi. La difficulté, c’est que l’on n’a pas de système d’information qui permette de suivre les personnes, il faut qu’on procède par reconstitution et enquête individuelle auprès de chacun pour reconstituer les parcours.
On travaille donc sur une étude de cohortes pour y arriver et proposer des réponses appropriées selon que les personnes souhaitent poursuivre dans le secteur du BTP, se qualifier sur un métier ou se réorienter.
C’est bien sûr encore beaucoup trop tôt pour dresser un bilan mais on a déjà commencé à travailler sur les recrutements de 2021 réalisés via les clauses d’insertion par la Solideo et les premières constatations sont qu’il y a une grande diversité de parcours. Pour certains, le BTP c’est la voie d’arrivée, ils vont y rester, ils vont poursuivre, ils vont se former et continuer. Pour d’autres, c’est juste un passage et ils bifurquent sur autre chose. Mais ces expériences professionnelles leur ont permis de découvrir un secteur d’activité, de reprendre confiance en eux et d’affiner leur projet professionnel.
En tout cas, la plupart des secteurs concernés par les JO sont en tension et nous disent que si les recrutements faits à l’occasion des Jeux correspondent bien à la typologie de profils dont ils ont besoin en temps normal, ils pourront les conserver. C’est par exemple le cas dans la sécurité privée qui a une pénurie de main d’œuvre structurelle ou encore la logistique qui prévoit des départs en retraite massifs dans les années qui viennent et qu’il va falloir remplacer.
Cela dit, si ces métiers sont en tension, c’est souvent parce qu’ils connaissent un important turn-over. Former et recruter c’est bien mais, pour garder les gens, il faut aussi que les entreprises fassent en sorte d’être suffisamment attractives, que ce soit en termes de rémunération, de possibilité d’évolution professionnelle ou encore de mobilité géographique. Dans un contexte où le taux de chômage est plus faible, aux branches et aux entreprises de prendre les choses en main et mettre en place les bonnes politiques pour parvenir à fidéliser.

Dans quelle mesure les JO représentent-ils une opportunité pour attirer de nouveaux publics vers l’emploi ?
C’est une occasion unique de participer à un événement de notoriété mondiale. Les acteurs du service public de l’emploi s’en servent comme levier pour promouvoir les métiers des Jeux notamment auprès des jeunes, suivis par les missions locales, dans les écoles de la deuxième chance ou dans les EPIDE. Cela permet de leur faire regarder un métier sous un jour différent et de le rendre plus attractif.
Pour certains, c’est bien reçu et ça fonctionne, pour d’autres, soyons honnêtes, ça reste juste un gagne-pain donc, que ce soit les jeux ou autre chose, peu importe.
Et ce qui est également important c’est que les entreprises jouent le jeu. Une fois que l’on a su intéresser une personne et qu’elle a accepté de se former, il faut qu’elle ait des débouchés rapidement. Il faut que ces nouveaux venus soient tout de suite recrutés dans les entreprises et qu’ils puissent acquérir de l’expérience. Ce n’est pas possible de les former et de leur dire “vous allez attendre 8 mois avant de pouvoir travailler”, on risque juste de générer de la déception.
Quel est votre niveau d’optimisme sur le fait que les besoins en main-d’œuvre parviendront à être comblés ?
Je suis plutôt optimiste sur le fait qu’on arrivera à trouver la quantité de main d’œuvre nécessaire. L’une des difficultés risque toutefois d’être qu’elle ne sera peut-être pas aussi formée qu’on le souhaiterait. La clé, c’est que les entreprises soient capables d’anticiper leurs besoins, car à un moment donné il sera trop tard pour former les gens à temps. Or, ce n’est pas très habituel de leur part et, à leur décharge, il faut reconnaître que c’est difficile à faire pour un événement hors norme sur lequel on n’a pas de référence.
Un autre aspect intéressant est que, comme il y aura pour les jeux une offre de travail très supérieure à ce qu’elle est habituellement, il y a un risque que les offres se fassent un peu concurrence les unes les autres. C’est difficile de dire s’il y a des secteurs qui seront plus ou moins attractifs et comment les personnes se détermineront. Principalement en fonction des rémunérations ? Des lieux de travail ? À voir. Au final, et sauf politiques très volontaristes des entreprises et des branches, il est probable que les secteurs en tension d’aujourd’hui seront aussi ceux de l’année prochaine.
Un mot de conclusion ?
Je suis à un poste d’observation très intéressant pour voir la machine de l’Etat s’organiser pour adresser toutes ces problématiques. Ce que je constate, c’est que la mobilisation s’est amplifiée et accélérée depuis 2 ans.
Au départ la DIJOP intervenait sur de nombreux sujets, mais maintenant que l’on approche de l’échéance, beaucoup d’administrations s’en sont emparées directement elles-mêmes et agissent efficacement. Comme notre rôle n’est pas d’être redondant ou de faire à la place des autres, cela nous permet de garder une vision anticipatrice et un temps d’avance pour identifier, traiter et lever collectivement, au fil de l’eau, d’autres obstacles potentiels à la bonne livraison des Jeux.